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Philippe Grassaud x AEF Info

"Certaines écoles font sciemment un amalgame entre les diplômes visés par le MESR et les certifications inscrites au RNCP visées par le ministère du Travail", estime Philippe Grassaud, président de l'association 3E (Entreprises éducatives pour l’emploi) et d’Eduservices, interrogé par AEF info le 10 octobre 2023 sur la perspective d’un nouveau label qualité dans le supérieur. Dénoncer le manque de transparence et appeler à créer un nouveau label est donc "hypocrite", dit-il. Il retient plutôt l’idée du HCERES de Qualiopi + et appelle les deux ministères à "renforcer leurs liens". Sur l’apprentissage, il demande de tenir compte du "prix social de l’apprentissage" pour bien intégrer un profil de jeunes jusqu’alors absents de l’enseignement supérieur. Et c’est en termes de "prix" - donc, d’investissement - et non seulement de "coûts" et de comptabilité analytique qu’il faut raisonner.

 

AEF info : Un chantier est engagé pour créer un nouveau label qualité dans l’enseignement supérieur (lire sur AEF info ici, ici et ici). Qu’en pensez-vous ? 

Philippe Grassaud : Il y a déjà tellement de labels nationaux, européens et internationaux. Cela va créer une complexité supplémentaire sans plus de transparence, avec peut-être une nouvelle sectorisation et une nouvelle hiérarchie… J’irais plutôt vers l’idée du HCERES de Qualiopi +, même si Qualiopi n’est pas assez connu aujourd’hui. L’idéal serait de renforcer les liens entre les ministères de l’Enseignement supérieur et du Travail, pour rendre davantage explicite ce qui existe et qui est déjà exigeant, plutôt que de créer un nouveau label. Je regrette que France compétences ne communique pas mieux sur Qualiopi, qui est à la fois complexe et complet. Bien sûr, nous collaborons avec le MESR. On sent bien qu’il essaye d’affiner sa connaissance de l’enseignement supérieur professionnel et de la démarche de développement des compétences. Le questionnement autour d’un label a un intérêt : celui d’ouvrir enfin la réflexion sur le fait qu’il n’y a pas un seul enseignement supérieur, celui fondé sur la recherche.

 

"À la différence d’autres établissements de l’enseignement supérieur, nos diplômes ne sont pas enregistrés de droit au RNCP, nous devons 'laver plus que blanc' pour pérenniser nos établissements."

AEF info : Un débat grandit dans l’enseignement supérieur : il faudrait un encadrement plus fort face à l’apparition "d’officines" qui basent leur formation sur les titres RNCP mais ne seraient pas vraiment de qualité… 

Philippe Grassaud : Deux vocables envahissent les médias : "officines" et "lucratif". C’est une volonté, celle de créer un amalgame négatif. Je me désolidarise totalement de ces pratiques, je suis fatigué de ces petits seigneurs qui jettent l’opprobre sur toute une profession à partir de faits anecdotiques. Hier c’était le CPF, aujourd’hui c’est le RNCP. Veulent-ils décrédibiliser France compétences ? 

Dévaloriser le travail des certificateurs ? Pour enregistrer une certification au RNCP, il faut constituer et faire accepter un dossier complexe et exigeant. Mais une fois cette certification obtenue, le plus difficile reste à faire : pouvoir en conserver le bénéfice à chaque renouvellement, soit tous les 2, 3 ou 5 ans. Quels sont les titres, diplômes ou labels qui passent ainsi sous les fourches caudines de leur tutelle ? Nos écoles et CFA proposent des titres de niveau 5 (bac+3), 6 et 7, il est vital que cette reconnaissance s’inscrive dans la continuité. 

À la différence d’autres établissements de l’enseignement supérieur, nos diplômes ne sont pas enregistrés de droit au RNCP, nous devons 'laver plus que blanc' pour pérenniser nos établissements. Cela veut dire, qualité de recrutement, qualité d’orientation, qualité pédagogique, qualité de placement. Ce sont des investissements massifs dans les équipes d’accompagnement et les systèmes. C’est a minima hypocrite, voire malhonnête, de dénoncer le manque de transparence et de qualité.

 

"Certaines écoles font sciemment un amalgame entre les diplômes visés par le ministère de l’Enseignement supérieur et les certifications inscrites au RNCP visées par le ministère du Travail."

 

AEF info : Quelle est cette "hypocrisie" ? 

Philippe Grassaud : Certaines écoles font sciemment un amalgame entre les diplômes visés par le ministère de l’Enseignement supérieur et les certifications inscrites au RNCP visées par le ministère du Travail. À côté de formations visées ou gradées, elles proposent des formations certifiantes RNCP, sans préciser les spécificités des deux systèmes. C’est ici que réside l’hypocrisie. 

Cela pose d’ailleurs un problème aux associations d’alumni qui défendent leur parcours "grande école", issus de classes préparatoires hypersélectives, et qui se retrouvent avec de nouveaux alumni qui portent la même marque, mais pas la même exigence. Ils avancent que leurs titres RNCP sont de bonne qualité, mais pas les autres. Ce qui pose la question de la crédibilité de France compétences. J’espère que France compétences va répondre à ces attaques.

 Cet amalgame n’a pas échappé à la médiatrice de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur dans le chapitre sur l’enseignement supérieur privé de son dernier rapport. Elle épingle, anonymement, deux établissements : l’un est un banal CFA, l’autre est un Eespig. Je regrette que France compétences ne défende pas son territoire. Comment le ministère peut-il laisser les fake news prospérer sans un mot ? Le niveau de qualité du RNCP est exigeant, et vraiment spécifique à l’objectif de professionnalisation, c’est une très belle réussite. Tous les prétendants à la certification devraient être jugés à l’aune de la même rigueur, sans passe-droits.

 

"On ne peut plus regarder la qualité comme on le faisait il y a 20 ans."

AEF info : À la base, Qualiopi valide un processus. Est-il suffisant pour garantir la qualité de la formation ? 

Philippe Grassaud : Pas seulement un processus, puisqu’il regarde des indicateurs clés tel que l’accès à l’emploi et la qualité de ce dernier. Mais comment définit-on la qualité ? Comprise de manière traditionnelle, elle se mesure avec un nombre d’heures, des enseignants académiques qui délivrent un savoir, etc. Mais ne faut-il pas la considérer comme la capacité d’intégrer des populations diverses dans le monde du travail ? On ne peut plus regarder la qualité comme on le faisait il y a 20 ans. 

La loi "Avenir professionnel" de 2018 a complètement modifié la sociologie de l’enseignement supérieur. Nous avons vu arriver beaucoup de jeunes qui en étaient exclus, qui ont des besoins et des codes différents. Ce nouveau profil fait "masse" et il faut le considérer différemment, sans se contenter de calquer des schémas dépassés qui s’appuient sur un élitisme scolaire. L’innovation n’est pas dans le savoir, mais dans la capacité à maintenir dans l’enseignement supérieur des jeunes qui n’étaient au départ pas préparés à y entrer. L’enseignant doit s’adapter à l’apprenant et non pas le contraire. 

AEF info : L’IGF et l’Igas pointent "un surfinancement global de l’apprentissage", dans un rapport rendu public le 1er septembre 2023. Entre autres, il faudrait "réduire les NPEC (niveaux de prise en charge) des niveaux 6 et 7 tout en redirigeant une partie des économies réalisées sur les dispositifs préparant à l’apprentissage sur les niveaux 3 et 4". Qu’en pensez-vous ? 

Philippe Grassaud : La question à laquelle nous devons répondre est comment adapter nos outils d’accompagnement pour mieux accueillir les jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur. Je connais la critique : à l’origine, l’enseignement supérieur n’est pas fait pour former à l’apprentissage, mais pour transmettre des compétences par des savoirs généraux. Notre point de vue est qu’il faut aussi se soucier de l’application des savoirs. Ce qui est globalement absent des référentiels budgétaires est le "prix social de l’apprentissage". Entre 2018 et 2023, il y a eu plus de 400 000 jeunes en plus en apprentissage accédant à un enseignement supérieur, c’est énorme. Quel était le coût de ces 400 000 jeunes avant de bénéficier du nouveau dispositif ? Où étaient-ils : à l’université ? au chômage ? dans des petits jobs, dans des stages parking ? En tout cas, ils existaient. 

Le premier effet de la loi "Avenir professionnel" a été de transférer ce coût social vers l’apprentissage. Mais aujourd’hui, c’est la notion de prix qu’il faut considérer, pas celle de coût. Il y a un 2e effet. Ces 400 000 jeunes sont dans des formations non seulement gratuites, mais dont ils tirent une rémunération : il y a donc une augmentation du pouvoir d’achat des familles. Les études récentes montrent d’ailleurs que le nombre de boursiers stagne pour la première fois depuis des années. 

"Si l’on continue dans cette logique de coût par définition malthusienne, la moitié des bons organismes de formation n’existera plus demain."

 

AEF info : Quelle différence faites-vous entre le "prix" et le "coût" d’une formation par apprentissage ? 

Philippe Grassaud : Le prix doit permettre l’investissement et l’innovation. Toutes ces nouvelles technologies qui peuvent nous faire faire un saut qualitatif et d’individualisation majeure, ce sont des centaines de milliers d’euros, voire des millions. Comment les financer, en courant derrière la subvention ? Ne raisonnons pas uniquement en matière de comptabilité analytique sur la base de coûts. Un coût est un élément de gestion fait pour être maîtrisé, et non pas un critère de valeur. Si l’on continue dans cette logique de coût, par définition malthusienne, la moitié des bons organismes de formation n’existera plus demain, le système sera de plus en plus administré, et il perdra tout son caractère dynamique et innovant. 

Il faut élever le débat, et ne pas rester bloqué sur le doigt de la main qui montre la lune. Au contraire, regardons la finalité – accueillir comme il le faut un nouveau profil de jeunes - et dégager des ressources en conséquence pour améliorer le système. Une fois le "juste prix négocié", ne descendons pas en dessous. Cela doit se faire dans le cadre d’une politique ambitieuse pour la formation de tous les jeunes. Cela permettra de se diriger plus sainement vers la pérennité du million d’apprentis. 

AEF info : Comment voyez-vous le rôle des branches dans le nouvel écosystème NPEC ? 

Philippe Grassaud : L’apprentissage dans l’enseignement supérieur est un système de formation initiale, qui tire toute la jeunesse vers plus de sécurité et plus d’intégration professionnelle. C’est un enjeu de société, qui dépasse l’ambition d’un secteur d’activité particulier. Les branches sont sollicitées pour fixer la prise en charge de centaines de formations transversales qui les empêchent de se concentrer sur leurs propres besoins. Il en résulte une cacophonie des niveaux de prises en charge des contrats d’apprentissage pour des formations identiques. À quelques exceptions près, elles n’ont pas la capacité de gérer cela. Maintenant, l’apprentissage étant une formation initiale, est-ce leur rôle ? Cela remonte à une conception du rôle des branches dans la formation qui a longtemps été bercée par l’illusion que ces dernières seraient le guide des besoins et d’une adéquation au marché du travail.

 

"On pourrait s’interroger sur un système qui charge les coûts contrat de la recherche, alors que la recherche n’a qu’un lointain rapport avec les modalités spécifiques de la pédagogie de l’apprentissage."

 

AEF info : Universités et grandes écoles se tournent massivement vers l’apprentissage aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ? 

Philippe Grassaud : Enfin ! Toutes les universités se tournent vers l’apprentissage, à des degrés divers. Elles le font au nom d’une pédagogie qui est plus efficace pour insérer les jeunes durablement mais, ne nous voilons pas la face, elles le font aussi pour des raisons financières, car cela leur permet de percevoir de nouvelles ressources en plus de leurs dotations originelles. En plus, et pas en moins. On pourrait aussi s’interroger sur un système qui charge les coûts contrat de la recherche, alors que la recherche n’a qu’un lointain rapport avec les modalités spécifiques de la pédagogie de l’apprentissage. 

Quant aux grandes écoles, les plus prestigieuses n’accueillent pas particulièrement les plus démunis des étudiants, tant en termes de ressources financières que scolaires. Sont-elles bien qualifiées pour percevoir des prix élevés en plus d’une quote-part de taxe d’apprentissage ? Mais ne remettons pas en cause la vertu globale de la réforme du système d’apprentissage parce que certaines en profitent avec opportunisme, quand la masse du commun en tire un bénéficie dont on ne pourrait plus se passer aujourd’hui. 

La révélation de cette réforme, c’est qu’elle a profondément modifié la structure sociale de l’enseignement supérieur et par là a contribué à relancer l’espoir de milliers de jeunes qui n’avaient pour seul horizon que l’incertitude et le doute